« Regarder les images jusqu’à les faire bouger ». C’est cette phrase de Marguerite Yourcenar qui a indéniablement guidé Christine Delmotte dans son adaptation et sa mise en spectacle de l’un des romans les plus acclamés de la célèbre académicienne : L’Œuvre au Noir.
La proposition de la Compagnie Biloxi 48 nous invite à être les témoins de quelques-unes des aventures de Zénon. Au sortir du Moyen Age, alors que l’Inquisition saisit et que l’obscurantisme religieux fait foi de loi, l’esprit libre et iconoclaste de cet humaniste, médecin des pauvres, des pestiférés comme de la Cour, philosophe, alchimiste, et scientifique, cherche à franchir les frontières connues de la pensée, outrepasser les préjugés et vivre pleinement toutes les expériences de l’esprit et de la chair à sa portée. Dans une Europe à l’aube des Lumières, encore baignée dans un fanatisme religieux aliénant, ses aspirations libertaires et audacieuses seront mises à mal.
Si l’adaptation d’un roman si riche et complexe est un exercice périlleux, la sélection opérée par Christine Delmotte dans le texte foisonnant et passionnant permet de restituer avec finesse l’atmosphère, à la fois pesante d’obscurantisme et porteuse d’espoir pour des lendemains plus éclairés, propre à l’œuvre de Yourcenar. En faisant le choix d’une mise en scène minimaliste et d’une grande sobriété – tendant parfois malheureusement un peu trop vers l’intellectualisme et le statique -, la metteuse en scène fait la part belle au texte, qui, il est vrai, se suffit à lui-même.
Zénon est interprété par les six acteurs présents sur le plateau, comme pour mieux souligner l’universalité des réflexions et des propos du penseur. Ce ballet d’interprètes, un peu perturbant au départ, offre pourtant l’opportunité de faire intervenir d’autres personnages du roman, tels son cousin, Henri-Maximilien, soldat et écrivain fortuné, ou encore le pieux prieur des cordeliers, son protecteur, passionné de justice et de charité, et insuffle un certain rythme à la pièce : celui, au tempo lent, des paysages des tableaux de la Renaissance flamande ; terre de bruyère, scènes paysannes, et natures mortes.
Les comédiens, dont il faut souligner l’interprétation engagée et recherchée, ne sont pas costumés : l’époque est suggérée par les peintures de Bruegel, Bosch, Vinci ou encore Barberino qui défilent en arrière-plan, les costumes renaissance qui apparaissent soudain sur une tringle, tombés du ciel, ou encore le chant lyrique de Soumaya Hallack, soprano dramatique, qui accompagne deux heures durant les comédiens sur scène.
Yourcenar et Delmotte nous convient à assister à l’œuvre au noir, partie la plus difficile du Grand Œuvre pour les alchimistes : phase de séparation des éléments, elle symbolise également la remise en cause des préjugés, des routines et des certitudes, la recherche de l’homme universel, le détachement de ce que l’on possède pour trouver ce que nous sommes. C’est à l’éveil d’une conscience, à une alchimie : celle de la sagesse, que l’on prend part au Théâtre des Martyrs. Troublant.
L’œuvre au noir
Du 14/01 au 14/02/2015 au Théâtre des Martyrs.
Durée : 2 heures
Tarifs : de 9€ à 16,50€
Avec Stéphanie Blanchoud, Serge Demoulin, Soumaya Hallak, Nathan Michel, Dominique Rongvaux et Stéphanie Van Vyve.
Adaptation du roman, mise en scène et scénographie Christine Delmotte
Assistanat à la mise en scène Anna Giolo
Eclairages et direction technique Nathalie Borlée
Collaboration à la scénographie Noémie Vanheste
Vidéo Caroline Cereghetti
Aide aux mouvements Diane Fourdrignier
Habillage Caroline Gereduz
Régie Bruno Smit
Régie plateau Sébastien Pitsch
Coordination Charlotte Dumont
Plus d’informations sur le site du Théâtre des Martyrs et de la Cie Biloxi 48